Friday, February 19, 2016
Plantu: "Il ne faut lâcher sur rien et continuer à combattre l'ignorance"
Plantu: "Il ne faut lâcher sur rien et poursuivre le combat contre
l'ignorance" - © RTBF
Georges Lauwerijs Publié le samedi 06
juin 2015 à 13h00
C’est entouré d’un important service de
sécurité que le caricaturiste du Monde s’est présenté au studio du Grand Oral. Il fait l’objet d’une protection rapprochée 24 heures sur 24 depuis
l’attentat commis dans la rédaction de Charlie Hebdo, le 7 janvier dernier.
Président de «Cartooning for Peace», association qu’il a créée avec Kofi Annan,
Plantu parcourt aujourd’hui le monde pour défendre la liberté d’expression mais
surtout pour ouvrir et entretenir un dialogue entre les cultures. "Il ne
faut lâcher sur rien", dit-il, "et poursuivre le combat contre
l’ignorance". Il ajoute que le drame de Charlie Hebdo était prévisible.
"On s’est endormi pendant 30 ans", ajoute-t-il, "et nous sommes
certainement à la veille d’autres tragédies déjà programmées". Extraits choisis.
"Il faut continuer à être décapant, mais sans humilier les lecteurs
et les croyants"
Créée en 2006, au lendemain des fatwas
lancées contre les caricaturistes danois, l’association Cartooning for Peace
s’est donné comme objectif de défendre la liberté d’expression, de
défendre les caricaturistes du monde entier, mais aussi de les faire dialoguer
entre eux, de jeter des ponts entre cultures. Car le débat sur les limites de
la liberté d’expression n’est pas unanime entre caricaturistes du monde entier.
"J’ai un discours très clair. On défend les dessinateurs de Charlie ou
les caricaturistes quand on est face à des dessinateurs musulmans. On leur
explique que nos caricaturistes ne se lèvent pas le matin en se disant 'on veut
humilier les musulmans'. Mais nous avons une culture, une frénésie propre à nos
sociétés qui font qu’on a l’habitude de dire certaines choses sur les
religions. Au début du 20ème siècle, il fallait s’en prendre au
pouvoir. Et le pouvoir, c’était notamment les églises. Maintenant, il y a des
peuples qui disent 'ils veulent nous humilier'. Les gens ne savent pas que ces
images ne sont pas là pour les humilier. C’est ça l’ignorance contre laquelle
je lutte".
Ce combat pour un dialogue, pour une compréhension et un respect mutuel,
Plantu le mène aussi dans les écoles : "Notre combat est d’aller dans
les écoles pour se battre contre l’ignorance. Nous ne voulons pas faire une pédagogie
contre le fondamentalisme, j’insiste bien là-dessus ! On n’a rien contre les croyants, on n’a rien à dire à des gens qui sont
chrétiens, musulmans, juifs... On les respecte dans leurs croyances. Nous nous battons, non pas contre le
fondamentalisme, mais contre l’ignorance. Et l’ignorance, elle est terrible
dans les écoles, elle est terrible dans nos sociétés. Il y a tout un travail de
pédagogie à réinventer parce qu’on s’est endormi pendant 30 ans. Le réveil est
un peu dur, mais il faut savoir qu’on est sûrement à la veille d’autres
tragédies qui sont déjà programmées. Il ne faut pas lâcher nos crayons, nos stylos,
nous devons continuer à dire notre vraie pensée, pourvu qu’au bout du compte on
essaye d’éviter d’humilier inutilement les gens. Il faut continuer à être
décapant, mais sans humilier les lecteurs et les croyants".
"Je ne comprends pas qu’il n’y
ait pas un terrorisme noir"
Plantu explique par ailleurs que le
drame de Charlie Hebdo était prévisible depuis la publication des caricatures
de Mahomet. Par contre, il s’étonne de ne pas voir émerger un autre terrorisme
qui prendrait racine dans l’Afrique noire. "Ça fait 20 ans que je ne
comprends pas qu’il n’y ait pas un terrorisme noir, un terrorisme africain.
J’adore l’Europe, j’aime cette Europe, mais je me dis : 'réveille-toi !', cette
Europe, elle pille l’Afrique. Ce sont les sociétés françaises qui pillent le
Congo, ce sont des sociétés de pêcheries françaises qui font que les pêcheurs
sénégalais sont au chômage. On a créé là une colère qui va s’exprimer
aujourd’hui".
"Éditorialiste, journaliste,
artiste, le caricaturiste est un peu tout cela"
Quelle est la démarche qui anime le
caricaturiste : l’humour, la volonté de provoquer ou d’expliquer ? "Journaliste,
éditorialiste, artiste, nous sommes un peu tout cela. Quant à l’humour, ça
dépend des jours. Parfois on est aussi animé par un sentiment de révolte. A ce
moment-là, il y a un mélange entre ce que je pense, mon doigt et mon crayon. Je
dirais même que ma page blanche et mon crayon me parlent. Ils font ce que je
leur dis, mais ils m’imposent aussi quelque chose que je découvre à la fin dans
mon dessin. Je vous assure que c’est vrai. Un dessin, je l’assume totalement,
mais à la fois quand il est fini, il me surprend parfois parce que je ne savais
que j’y mettrais les choses que je découvre. En tant que dessinateur de presse,
je dois continuer à faire mon travail sans trop me poser de questions. Je vais
réellement au bout de ce à quoi je crois".
Sans avoir peur ? "Sans
avoir peur, jamais. Je fais exactement l’idée à laquelle je tiens".
Georges Lauwerijs